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Un curragh échoué sur le sable
30 août 2007

Le cellier de Keridwen

Précisions données à l’égard de ceux qui croient connaître la région : Keridwen et Berec’hedig sont des fées, elles ont donc accès à une partie du paysage qui reste invisible aux yeux seulement humains. A moins d’avoir été vous-mêmes bercés par les Tud Vor dans votre tendre enfance et que depuis lors vous ayez gardé l’esprit ouvert aux chant des fées, il peu probable que vous trouviez jamais le vieil arbre magique qui garde l’entrée du cellier de Keridwen ni le ruisseau frais qui s’en échappe. L’Île d’Er vous paraîtra plus sûrement déserte et désolée, tout juste plantée de quelques sapins épars aux branches desséchées par le vent d’ouest.
   

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Keridwen se rappelait la Porte de Pierre. C‘était un petit édifice flanqué d’une guérite, construit près d’un quai au pied du sentier qui descend de la falaise du Kastellick, le petit château qui garde l’entrée du port de Landreger enfoncé dans l’estuaire du Jaudy, la rivière bleue. « Ainsi donc me voici sur l’Île d’Er à l’embouchure de la rivière bleue. Trop tard déjà pour remonter jusqu’à Landreger alors ma soupe d’ortie se passera des feuilles de l’ail des ours, cré bon dlà ! C’est encore heureux qu’il pousse quelques aulx des sables sur cette île», grognonna Keridwen en continuant de farfouiller tout autour d’elle, ramassant par-ci quelques bigorneaux pour l’apéritif, décollant par-là quelques huîtres des rochers qu’elle s’empressait d’avaler aussitôt et chassant à grands cris des rochers quelques goélands furieux pour leur voler des œufs. Elle remonta sur une dune au bout de la crique pour chercher de l’ail. Comme elle s’y attendait, reconnaissant maintenant le rivage tout à l’heure inconnu, la dune abritait les petites fleurs roses dont les tiges relèveraient le goût de la soupe. Puis elle revint cheminant dans la lande, non plus au hasard, mais d’un petit pas déterminé qui la mena le cabas sous le bras et le chat sur les talons de ses sabots, par le petit bois vers un très vieil arbre caché au creux d’un vallon, dont les racines abritaient une petite source fraîche. «  Bonjour jeune Chêne, je suis bien heureuse de revoir ton écorce ! Que tes feuilles bruissent au vent tant que le temps durera, que tes glands trouvent toujours de la terre où pousser et que mes sortilèges te protègent à jamais de la foudre ! Garde-tu toujours bien mon cellier ? » Le chêne multicentenaire agita ses branches en signe d’acquiescement. Il semblait très heureux de revoir Keridwen. Lorsqu’il était un tout jeune gland, un écureuil étourdi l’avait oublié sur une pierre plate. Keridwen, passant par-là tout à fait par hasard, avait été émue par la plainte de la graine perdue. Un peu plus et elle la ramassait pour en faire de la farine à épaissir son brouet de fumeterre. D’ailleurs, son cabas était déjà rempli de bon nombre de ses congénères. Etonnamment, ce gland eut l’art d’attendrir la vieille fée. Il ne pouvait pas prendre racine, ou très difficilement, placé comme il l’était au centre d’une pierre plate d’où il ne pouvait rouler à moins d’une forte tempête. Mais d’ici que le vent du sud-ouest se lève, il avait largement le temps de finir dans l’estomac d’un écureuil ou dans le brouet d’une sorcière. Alors il criait à fendre l’âme et Keridwen, sensible aux pleurs des arbres, avait secouru et planté la graine tout près de là, au creux d’un vallon qui comportait une petite grotte de laquelle coulait un ru argenté comme les écailles d’Eog le saumon. Avec les années et les siècles, le chêne grossissant sans cesse, avait fini par boucher complètement l’entrée de la grotte. Keridwen avait hanté tous les rivages du Monde connu et un bon nombre de ceux de l’Autre Monde. Aussi, sachant que sa quête pouvait durer bien longtemps, avait-elle disposé des cachettes un peu partout dans les vallons aux sources fraîches. Les celliers de Keridwen recelaient dans de belles armoires de chêne (eh oui !) tout ce qu’une vieille petite déesse oubliée pouvait avoir besoin au cours d’une quête et qu’elle ne pouvait emporter dans son cabas, ni sur son curragh. Elle fut bien aise de retrouver celui-là ! Se laissant glisser entre trois racines, elle entra dans le cellier et fit grande provision de confitures, de conserves, de pots d’herbes sèches, de farine de glands (eh oui !) et de bonnes bouteilles de cidre du Frère Guillaume. Elle prit même un deuxième billig pour cuire les crêpes du Tug Goemon. Le bougre, tout le monde le savait bien, avait un appétit d’ogre ! Une seule chose lui manquait à présent pour recevoir dignement le fils de Berc’hedig. Pour faire ses crêpes il lui fallait du lait. « Dis donc le chat, rends-toi utile un instant ! Va me chercher et plus vite que ça, une souris femelle, à cette saison elles viennent toutes de mettre bas. Mais je te préviens, rapporte-la-moi entière et en bonne santé ou je t’étripatouille à mon tour. Ouste ! Et retrouve-moi au bateau. » Le félin s’éloigna à toutes pattes sans demander son reste et la très vieille petite dame repartit vers la plage où le curragh s’était échoué ce matin. Le chêne resta à sa place comme d’habitude et regarda séloigner tristement sa vieille protectrice.

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Commentaires
K
Que c'est beau, sauvage...Gros bisou de Korridwenn à Keridwen.
Un curragh échoué sur le sable
  • La mer déposa un petit curragh sur le sable. Les brumes de la nuit se diluaient dans une luminosité froide et bleutée. On distingua une petite forme sombre descendre de l’embarcation et sauter prestement sur la plage en évitant de se mouiller les sabots.
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