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Un curragh échoué sur le sable
26 avril 2006

Berc’hedig, la Tud Vor

 

Keridwen prit le sentier qui s’égarait à travers la lande vers l’est, en direction d’un petit bois aux arbres tortueux comme l’esprit d’un korrigan malin. Elle cueillait en route de quoi remplir son garde-manger bien désert après sa longue traversée. Le soleil printanier dorait les jeunes crosses de fougère émergeant du tapis de bruyère. Elle s’imaginait déjà les saler et les mettre en pot pour les servir avec le cidre du frère Guillaume quand viendrait un invité. Elle arracha nombre de carottes sauvages et fit grande provision de feuilles tendres de mûrier. En s’écartant du rivage elle trouva une verte prairie où sautaient les lapins. Keridwen rivalisa avec eux dans la cueillette des pissenlits, les fleurs d’or en confiture ressembleraient à du miel légèrement acidulé, les feuilles seraient délicieuses en salade avec quelques lardons frits et une bonne vinaigrette et les racines séchées et grillées serviraient tout l’hiver de remède et de boisson revigorante. A l’entrée du bois elle sortit une paire de vieux gants de cuir noir du fond de son cabas. Keridwen venait de repérer un fossé rempli de gigantesques orties. Quelle bonnes soupes mijoterait-elle dans sa marmite ! L’appétit venant apportait une légère teinte rosée sur ses vieilles joues grises et terriblement ridées. Elle dût s’asseoir pour croquer une poignée de mourron blanc et de fleurs de pâquerettes afin de tromper sa faim.

Maintenant, je dois trouver de l’ail des ours, se dit-elle, pas de soupe à l’ortie digne de ma marmite sans ail des ours !

Et cheminant deçà delà, cherchant son ail des ours dans les sous-bois, la vieille Keridwen arriva de l’autre côté de l’île. Ereintée et mécontente, Keridwen souffla un peu, assise sur un rocher face à la mer. Elle dût s’assoupir quelque peu car elle sursauta soudain en entendant une boule de goémon claquer sous les pas d’un arrivant.

Quelqu’un ici, se dit-elle, peut être saura-t-il où je pourrais trouver mon ail ?

Elle était quelque peu obnubilée par cet ail, nom d’un asticot !

Mais force fut de constater qu’aucune personne visible ne cotoyait à l’instant le rocher de Keridwen ! Ni devant ni derrière ni sur les côtés, il m’avait pourtant bien semblé que …

« Ah, mais ça alors ! C’est-ti bien toi Berc’hedig ? Quel plaisir de te revoir ! »

Une toute petite personne aussi vieille et fripée que Keridwen avait surgi de nulle part, indiscernable sur les rochers dont elle avait les couleurs changeantes tant sur la peau que sur les oripeaux. Elle se glissa sans bruit vers sa vieille amie et lui chuchota à l’oreille :

« Tout autant que toi je suis heureuse de te voir ici-bas, Keridwen ! Quel vent rusé a poussé ton bateau sur nos côtes ? » La nouvelle venue se garda bien de demander des nouvelles du Chaudron, elle connaissait la colère de Keridwen et puis si le Chaudron avait été retrouvé, l’ordre du monde en aurait été changé et tout un chacun en aurait connu la nouvelle. Cette petite femme était du peuple des Tud Vor, des korrigans des côtes et des estuaires, point méchants mais pleins de malice et habités de biens étranges habitudes. La première est celle de bercer leur enfants sans fin sur les grèves, en chantant d’extraordinaires chansons mélancoliques. Les chansons des Tud Vor se mêlaient au sifflement du vent du large dans les arbres, au battement des vagues frappant les roches et au roulement des galets sur la grève. Quiconque avait entendu leur chant sentait monter en lui une grande nostalgie, qui jamais plus ne le quitterait et qui reviendrait sans cesse serrer sa gorge lorsqu’il regarderait l’horizon. Une autre de leur habitude, et ce n’était pas la moindre, était d’aller bercer aussi certains enfants des humains de la côte et parfois même de les emporter quelques temps en laissant à leur place un des leurs. Ces enfants d’humains bercés au chant des Tud Vor gardaient en eux toute leur vie une nostalgie profonde, trahie par un regard songeur et une tendance perpétuelle à la rêverie.

« M’est avis Berc’hedig que tu n’es pas ici par hasard. Peut-être es-tu venue pour me dire où trouver quelques plants d’ail des ours ? demanda naïvement l’obstinée Keridwen.

_ Toujours aussi devineresse, Keridwen, fée des temps ! C’est mon gars dernier-né qui demande à te voir et m’envoie te le dire. Il a, paraît-il, une urgence à te signaler.

_ Tud Goémon ?

_ Lui-même, répondit Berc’hedig, fronçant les sourcils à l’intonation de voix de son amie.

_ Ne t’inquiète pas, je le verrai, s’il me demande. Qu’il arrive ce soir de l’autre côté de l’île où j’ai amarré le curragh. Je lui préparerais une bonne soupe d’orties et des crêpes à la myrtille avec une bonne bolée du Frère Guillaume. Sais-tu où je pourrais trouver de l’ail des ours ?

Demi-sourde à la requête de son amie, Berc’hedig qui s’inquiétait pour son fils, se rassura malgré tout. Il est vrai que le garçon n’avait jamais accepté sa condition semi-humaine, semi-korrigane et qu’il s’était bloqué au passage à l’âge adulte dans un état pour moitié de chaque peuple. Sa silhouette semi-humaine était couverte d’écailles et ses pieds palmés. Il se vêtait de goémon, ce qui lui avait vallu son surnom. Berc’hedig avait beaucoup aimé un humain, qui le lui avait beaucoup rendu avec le rejeton en prime. Elle aimait son fils mal-aimé de tous et surtout de lui-même et refusait de voir ce que tout le monde savait, que Tud Goémon avait mal tourné. A la suite d’une colère mal maîtrisée il avait gagné la réputation de plus grand des naufrageurs. Il n’avait pas cherché à le faire, mais quand, s’enfuyant des rires des enfants Tud Vor, il avait saisi ce bâton pour le lancer au loin, il n’avait pas remarqué que c’était la quille d’un gros navire anglais. Etait-ce sa faute ? Tous les mauvais gars du pays l’applaudirent. Le succès lui monta à la tête et il recommença, cette fois en tirant par le fond ce que la racaille du pays lui demandait. Un jour qu’il avait trop écouté le chant des mères Tud Vor, il tira par le fond la barque de la famille d’un poête. Ce fut son pire naufrage. On ne le lui pardonna pas. On n’en tira rien que des larmes, de tous côtés. 

cene
Dans cette cène, on peut voir, en regardant bien, celui aux pieds palmés qui tire Judas par l'épaule !
peinture au plafond d'une chapelle en Trégor

Berc’hedig repartit sans bruit, glissant sur la grève, après avoir quatre fois bisé la joue de Keridwen. « Il y en a près de la Porte de Pierre ! » lança-t-elle en disparaissant entre deux rochers couverts de lichens jaunes et gris.

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Commentaires
K
et c'est reparti, la mission continue, pas avec Tud Goémon comme prévu mais d'abord avec sa mère Berc'hedig !
B
eh oui Keridwen s'est égarée à la recherche d'un plan d'ail des ours, en attendant son retour, Je publie un rouleau d'écorce de bouleau que Nessy, la nièce de keridwen a dégagé de sous le banc de nage du curragh ...
J
Ca fait déjà un moment qu'on attend la suite des aventures de Keridwen. Publicité mensongère, ouh ! <br /> Hi! Hi! Hi!
Un curragh échoué sur le sable
  • La mer déposa un petit curragh sur le sable. Les brumes de la nuit se diluaient dans une luminosité froide et bleutée. On distingua une petite forme sombre descendre de l’embarcation et sauter prestement sur la plage en évitant de se mouiller les sabots.
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